Ce qui fonde le mythe d’Orphée, ce qui le rend beau, terrible et triste, et ce qui continue de nous hanter lorsqu’on le parcourt, c’est le fait qu’Orphée se retourne. Orphée ne pouvait pas ne pas se retourner. Sans son retournement, le mythe n’existerait pas. Orphée le musicien, dont la plainte désespérée ravit les dieux, réalise son destin. Qui n’est pas celui de ramener Eurydice mais celui de chanter sa perte.
J’aborde dans mon travail le théâtre comme un art de l’espace. Ainsi j’ai imaginé que puisqu’ Orphée se retournait, alors l’espace entier de la scène devait se retourner. J’ai choisi pour cela un procédé de magie théâtrale développé au 19ème siècle, le Pepper ghost, qui permet des apparitions par un jeu de reflets. J’utilise ce procédé en laissant le dispositif visible pour renverser les dimensions du plateau : transformer la verticalité par la profondeur au théâtre. Elle révèle la possibilité de faire apparaître un trou : l’absence de l’être aimé, la mort, l’espace archétype de l’artiste qui doit chercher dans les profondeurs. Dans cet espace troué apparaît la séparation entre le monde des vivants et celui des morts, où s’évanouit l’illusion d’un possible retour. Les enfers grecs – les Champs Elysées – où Orphée, vient rechercher Eurydice, ne sont percés par le chant et la force de l’amour que de manière éphémère, comme au théâtre.
Le seul décor sur scène est un tableau de Jean Baptiste Corot Orphée ramenant Eurydice des enfers. Il est présenté ici sous plusieurs angles et divers grossissements que le dispositif permet de renverser et de superposer. Orphée et Eurydice de Christoph Wilibald Gluck est une œuvre de transition entre la période baroque et la période classique. C’est aussi une œuvre de transmission, dont Hector Berlioz a fait un siècle plus tard une version prodigieuse, que Raphaël Pichon a choisi pour l’Opéra Comique de transmettre à son tour. Jean-Baptiste Corot a peint son tableau en 1861 juste après la reprise de Berlioz à Paris, et il est fort à parier qu’il s’en soit inspiré. Sa peinture se situe elle-aussi dans une transition, celle vers l’impressionnisme, qu’ici le traitement des arbres de la forêt d’Eurydice trouée de lumière semble annoncer. J’ai voulu appréhender la scène de façon impressionniste, où les jeux entre le noir et la lumière, rejoignent la vibration de la musique et du chant d’Orphée.
Dans cette version Orphée est incarné par une femme. L’histoire d’amour d’Orphée et Eurydice tendrait-elle vers une relation gémellaire, on penserait alors au discours d’Aristophane sur l’homme androgyne coupé en deux. Avec les trois rôles titres, le plateau est exclusivement féminin, incarnant la place de l’amour et celle de l’art.
Aurélien Bory
Juin 2018
Les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort va et vient.
Jean Cocteau
Direction musicale Raphaël Pichon
Mise en scène et décors Aurélien Bory
Dramaturge Taïcyr Fadel
Décors Pierre Dequivre
Costumes Manuela Agnesini
Lumières Arno Veyrat
Dans le rôle d’Orphée Marianne Crebassa
Dans le rôle d’Eurydice Hélène Guilmette
Dans le rôle d’Amour Léa Desandre
Danseurs Claire Carpentier, Elodie Chan, Yannis François, Coraline Léger, Margherita Mischitelli, Charlotte Siepiora
Chœur et orchestre Ensemble Pygmalion
Nouvelle production Opéra Comique
Coproduction Opéra de Lausanne, Opéra Royal de Wallonie, Théâtre de Caen, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Opéra Royal de Versailles, Beijing Festival
Créée le 19 novembre 1859 au Théâtre-Lyrique.