Opéra créé et présenté en diptyque avec Le Prisonnier (Il Prigioniero) en octobre 2015 au Théâtre du Capitole.
« J’aime le silence, ou plutôt le bruit des choses. Mais je n’oublie pas que de mes plus grands plaisirs, la musique tient peut-être la plus belle part. (…) Ces deux opéras sont très forts, mais étrangement ce n’est pas du côté de la musique que je les ai abordés. J’ai fait une plongée en profondeur dans les livrets. J’ai essayé d’en tirer les motifs premiers, et de leur donner un sens dans la scénographie. J’essaie de soulever des question d’espace, des questions qui sont en lien avec la physique du théâtre. »
Propos d’Aurélien Bory recueillis par André Lacambra pour Ramdam Magazine – Septembre 2015
Frédéric Chambert a imaginé ce programme. J’ai travaillé sur les deux œuvres, d’abord indépendamment, en cherchant à les éloigner le plus possible, et ensuite en les associant, de façon à former un diptyque. J’ai fait une plongée dans chaque livret, en essayant d’en extraire la question essentielle qui puisse m’amener à concevoir un dispositif scénographique. Comme dans chacune de mes créations, la scénographie constitue le point de départ de la mise en scène. Je cherche à comprendre l’espace par son mouvement, par ses transformations, par les phénomènes physiques qui sont en jeu.
L’ouvrage de Bartók est aujourd’hui un classique du répertoire, mais il n’en garde pas moins sa part de mystère. Comment le comprenez-vous ? Qui sont Judith et Barbe-Bleue pour vous ?
C’est effectivement son mystère qui rend l’œuvre passionnante. Béla Balázs a écrit un livret fascinant, qui place la lumière au premier plan. Les sept portes suivent la décomposition de la lumière. Judith veut ouvrir les portes pour faire entrer le vent et la lumière dans ce château – qui n’est autre que Barbe-Bleue lui-même. Elle veut faire toute la lumière de façon à respirer à nouveau, à faire taire la rumeur étouffante. Elle veut connaître Barbe-Bleue, et cette connaissance est un acte d’amour. Barbe-Bleue préfère l’opacité et le silence. Il cache dans son cœur les femmes qu’il a aimées et qu’il a rendues muettes. Barbe-Bleue et Judith sont d’une certaine manière l’histoire de l’échec de l’amour.
Pouvez-vous nous dire comment cette lecture vous a guidé dans la mise en scène du spectacle ?
Le point central est évidemment le motif de la porte. Même si je voulais que ces portes rappellent l’architecture d’un château, j’ai pensé à une structure légère qui puisse être sensible au vent. J’ai ainsi imaginé un mobile de portes encastrées, dont la forme évoque le spectre lumineux, l’arc en ciel. J’essaie toujours de convoquer sur le plateau les lois physiques. Le spectre renvoie alors à Isaac Newton, et le mobile à la gravité.
Quant au Prisonnier, le sujet semble davantage politique. Cette « torture par l’espérance » n’est-elle pas, peut-être aussi, une métaphore de la conditionde l’homme sur terre ? Comment comprenez-vous ce Geôlier / Inquisiteur ?
Dans Le Prisonnier, la question est bien celle de la liberté, ou plutôt celle de l’illusion de la liberté qui renvoie effectivement à la question de la condition humaine. Dallapiccola place dans à peu près chaque scène une apparition, une illusion. Le Prisonnier flotte et souffre dans ces illusions. Il cherche mais ne parvient pas à regagner le réel. L’Inquisiteur est celui qui l’en empêche.
Certains commentateurs pensent parfois que l’apparition de La Mère, au prologue, n’est pas réelle, mais n’est qu’une hallucination du Prisonnier. C’est donc aussi votre point de vue ?
Oui, comme le rêve de La Mère, le discours du Geôlier, le couloir, tout est illusion. Et l’opéra finit sur une terrible désillusion.
Vous parlez d’illusion. Comptez-vous l’utiliser au plateau ?
Cette réflexion sur l’illusion m’a amené à choisir l’artiste Vincent Fortemps comme collaborateur. Son travail de dessin en direct, qui se forment et s’effacent au fil de l’action convient parfaitement à la suite d’illusions dans cet opéra. De plus, Le Prisonnier est traversé par de multiples références à Victor Hugo, qui était lui-même un dessinateur étonnant. Dont Vincent Fortemps ne manquera pas de s’inspirer.
La curiosité (de Judith) et l’espérance (du Prisonnier) sont deux des moteurs de la vie humaine ? Dans les deux cas, c’est la quête de la connaissance qui guide l’action.
Plus personnellement, comment êtes-vous venu à l’opéra ? Quels sont vos rapports à ce genre théâtral si particulier ?
J’aime parcourir tous les genres, tous les arts de la scène. Cela m’aide à renouveler la forme, ou du moins aborder les mêmes choses mais par un autre côté. D’une certaine façon, j’approfondis là ma démarche de création. Mais j’essaie surtout de la questionner sans cesse.
Propos d’Aurélien Boryrecueillis par Jean-Jacques Groleau
Direction musicale Tito Ceccherini
Mise en scène Aurélien Bory
Collaborateur artistique Taïcyr Fadel
Artiste plasticien Vincent Fortemps
Scénographie Aurélien Bory, Pierre Dequivre
Costumes Sylvie Marcucci
Lumières Arno Veyrat
Dans le rôle de Barbe-Bleue Bálint Szabo
Dans le rôle de Judith Tanja Ariane Baumgartner
Direction du Chœur du Capitole – Alfonso Caiani
Orchestre national du Capitole
Au Théâtre du Capitole de Toulouse
Les 2, 4, 6, 9 et 11 Octobre 2015
Durée : 2h10
Création originale : Le 24 Mai 1918 à l’Opéra de Budapest.
Crédit photos : Patrice Nin, Laurent Padiou.